L’AVIS DU LIBRAIRE
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L'exemplaire de Henri de Régnier |
À rebours
Paris, G. Charpentier et Cie, 1884
18,5 x 11,8 cm, cartonnage à la Bradel, pièce de titre, date en pied, plats de couverture conservés (Paul Vié), 1 f. fin, 2 ff. n. ch. (titre, faux-titre), 294 pp., 1 f. n. ch.
Édition originale, sur papier d'édition (après 2 ex. sur Japon et 10 ex. sur Hollande).
Précieux exemplaire de Henri de Régnier, celui-ci ayant porté son nom et la date de 1885 à l'encre dans le coin supérieur du premier plat de couverture.
Relié en plein cartonnage par Paul Vié. Papier de couvrure renouvelé à l'identique.
Provenance : Henri de Régnier (ex-libris manuscrit sur le premier plat de couverture), Dr André Chauveau (ex-libris encollé sur le premier contreplat).
Rare avec provenance significative.
Les relations entretenues par Henri de Régnier et J.-K. Huysmans furent somme toute distantes, le premier inscrivant ses premiers recueils poétiques dans une veine parnassienne dont le classicisme ne pouvait séduire le second.
J.-K. Huysmans, à qui les premiers recueils de Régnier furent adressés, les accueillit, avec une sévérité nuancée cependant d'une pointe d'intérêt : relevant dans Les Lendemains (Vanier, 1885) des vers « très charmants » et « d'une netteté de frappe, vraiment tentante » et soulignant la place prise par l'auteur de Sites (Vanier, 1887) « parmi les poètes sensationnistes et suggérant qui veulent bien écrire en français et demeurer clairs, [...] frapp[ant] le vers en réel artiste ce qui se fait de plus en plus rare à l'heure actuelle. »
Mais à la même période, en avril 1887, Huysmans, adepte du double langage, exprimait librement son opinion dans une lettre à Adolphe Boschot : "Il y a deux poêtes qui ont été en somme, Verlaine mis à part, les plus originaux de la nouvelle école, Rimbaut [sic] et Laforgue dont j'aurais voulu vous voir parler. Ceux-là, le second surtout, ont apporté une petite note neuve ; c'est autre chose que les Régnier et autres troubadours pour dessus de pendules !".
Henri de Régnier consacra plusieurs articles à J.-K. Huysmans.
Dans le premier, "Biographie", paru dans Lutèce, le 25 juillet 1886, il s'opposait ouvertement aux excès du décadentisme en prenant Huysmans pour cible, "racontant la courte vie d'un lecteur d'A rebours qui, cherchant à revivre les expériences de Des Esseintes avec de pauvres moyens, finit par mourir en tombant d'un arbre « à rebours », victime de ses hallucinations".
Dans le second, "J.-K. Huysmans et son roman En rade", paru dans Écrits pour l'art, n° 6, 7 juin 1887, il y livrait un compte rendu dithyrambique, "louant le don d'observation de Huysmans, s'enthousiasmant pour ses qualités de style et, en poète, s'attachant aux « visions » oniriques du héros qui interrompent le cours du récit".
Cet enthousiasme sera toutefois de courte durée. En 1888, Régnier rendait compte dans son journal "de l'infériorité d'œuvres comme Werther, Cruelle énigme, A rebours et la beauté d'un roman tel que L'Éducation sentimentale ou Bouvard et Pécuchet.
Quatre ans plus tard, Régnier publiait un troisième article assassin, simplement titré "J.-K. Huysmans", dans Entretiens politiques et littéraires, n° 29, août 1892 : "Il fallut constater en M. Huysmans une impéritie de pensée et un enfantillage intellectuel irrémédiables et s'avouer que des livres, en somme, de reportage, fût-ce du reportage infernal ou céleste, fussent-ils écrits dans une langue admirable, épicés de détails ingénieux, assaisonnés d'anecdotes révélatrices, rehaussés de croquis instructifs ne sont que des détails qui amusent, des anecdotes qu'on écoute, des croquis qu'on regarde et quelque chose qu'on oublie".
Pour Régnier, Huysmans passait à la trappe et la messe était dite.
Philippe Barascud & Olivier Bivort, « M. de Régnier contre J.-K. Huysmans », Bulletin n° 100 de la Société J.-K. Huysmans publié à l'occasion du centenaire de sa mort, 2007, pp. 51-63
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