CHAR (René)

Manuscrit autographe signé d'un article en réaction au Scandale de Notre-Dame

12 avril 1950

2 LAS et un document formant un ensemble de 5 pp. au format in-4 et 1 p. au format in-8 rédigées à l'encre noire.

Important manuscrit, en partie inédit, composé de 3 documents autographes signés, comportant, pour le premier, des corrections autographes, adressés à Maurice Nadeau en réaction au Scandale de Notre-Dame, acte d’agitation anticléricale effectué le 9 avril 1950 (jour de Pâques), durant une messe à la cathédrale Notre-Dame de Paris, par quelques membres du mouvement lettriste dont Michel Mourre.

Combat avait commencé par condamner l’action, puis y consacra huit jours de reportage avec une vingtaine d’articles publiés dont celui de René Char.

Le manuscrit prend la forme d'une première lettre datée du 12 avril 1950, complétée et amendée par une seconde lettre du 18 avril 1950 et d'un document autographe additionnel.

LAS : "le 12 avril 1950 / Monsieur le Directeur / de "Combat" / 123, rue Montmartre / Paris / Monsieur, / Combat de ce jour consacre une page / à ce qu'il intitule « Le débat sur le / scandale de Notre-Dame ». En ce temps / d'assassinat inconditionnel d'enfants / par leurs parents, c'est faire la part / belle à un prétendu sacrilège. Quoi- / qu'il en soit, mon vieux camarade / André Breton, dans un article d'une / haute tenue anticléricale, nous mande, / quelques uns, de ne pas nous dérober, / en souvenir des rêves de notre jeunesse, / à un devoir de solidarité envers Mr / Michel Mourre, inculpé d'outrage à / dieu.( Je crois, et nous sommes nom- / breux dans ce cas, avoir réalisé / de 1940 à 1944, sous la forme de / cauchemar, quelques rêves de cette jeunesse / qui se voulait justicière!) Je vous / serai donc obligé de publier dans les / colonnes de Combat ces lignes qui n'ont / d'autre ambition que celle de répondre / au souhait de Breton, mon ami, sans / trop d'éclipses, depuis vingt ans. /

Personnellement, je ne suis pas opposé, / bien au contraire, au fait que les dis- / ciples mettent vigoureusement en pra- / tique les enseignements de leurs maîtres. / Cela ne pourra que profondément amener / ces derniers à vivre enfin sous le coup / et dans le risque de la responsabilité de leur mérite. / La vraie révolte y gagnera. Breton / a donc raison ici de justifier le geste / de Mr Mourre qui a passé à l'action. / Il peut ne sembler que partiellement / satisfaisant que ce ne soit presque tou- / jours que les défroqués qui maudissent violemment / ce qu'ils ont adoré. Ils le font évidem- / ment en connaissance de cause parfois avec humour, parfois sans ! En / religion, comme en politique, ce besoin / est fréquent, son origine toutefois émousse un peu / sa pointe. Bref, puisque Breton m'ap- / pelle en témoignage, je réponds oui, / de tout mon cœur, mon coeur des bonnes mais périlleuses actions… au cas très impro- / bable où les autorités ecclésiastiques / poursuivraient devant les tribunaux / correctionnels Mr Michel Mourre, Il peut / compter sur ma sympathie. Je témoignerai en faveur / de ce jeune homme qui a le tort aux yeux / des Dominicains de Saint-Maximin d'être / un déséquilibré qu'ils ont chassé de leur couvent. (Une / perle, le communiqué de ses Pères de Saint- / Maximin animés d'une franchise de / plomb et d'une charité qui lève le nez! / J'espère qu'on va décorer le brave / suisse de Notre-Dame qui sut si bien / frapper à l'aide de sa hallebarde, / comme un sourd sans doute, le contra- / dicteur au bas de l'escalier. Également / le bon Pierre Emmanuel : « il fallait / lui cogner la tête sur les marches / du maître-autel (sic)... » mais par / dieu, qu'est-ce que c'est que ces chré- / tiens-là qui rêvent de transformer leur / église vénérable en maison de correc- / tion, en lieu de châtiments corpo- / rels, en camp de concentration, alors / que dans la maison de Dieu, autrefois, / la personne humaine était sacrée ! / Les bandits de grands chemins traqués y / pouvaient même trouver refuge… / Sont-ils tous devenus déments ?)

Ceci dit, en 1950 je n'adhé- / rerais plus à cette autre fidélité / - déjà forcé à l'époque-, du second manifeste, / de Breton écrivant : « l'acte surréaliste… / c'est de descendre, muni d'un revolver, / dans la rue et de tirer au hasard dans / la foule ». Non. Chacun maintenant / doit savoir pourquoi, il ne tirerait pas / au hasard dans la foule… et Breton / le premier dont le scrupule et le respect humanisant / bien connus de ceux qui l'ont approché ! / Quant à la pieuvre, à laquelle / Breton fait aujourd'hui allusion, il / en existe deux espèces, celle d'une taille / réduite qui nous étreint le pied mais / dont on se délivre facilement et celle / plus sérieuse, gigantesque (americano- / russe) qui vise à nous étouffer pure- / ment et simplement. Ce n'est pas par / des complots de cache-musette qu'on / détruira les causes de son existence / et cette existence même. Il y a une / admirable définition de Saint-Just / qu'on ferait bien de méditer et / de convertir en acte même : « Il ne saurait / exister de liberté pour les ennemis / de la liberté. » Elle sera ma conclu- / sion et le point de départ d'une / longue réflexion. / Veuillez agréer Monsieur l'assu- / rance de mes sentiments très distingués. / René char 6, rue victorien Sardou Paris XVIe."

LAS, enveloppe jointe oblitérée le 18 avril 1950 : "Mardi [18 avril 1950] / Cher ami / je vous envoie d'urgence afin que vous / puissiez l'insérer dans mon papier jeudi, / cette "fin" qui doit remplacer l'autre, / celle que vous avez déjà et que vous voudrez / bien supprimer. Elle se place juste après / les lignes où il est question de la "seconde / pieuvre". Merci de raccorder comme vous / pourrez. Je vous demanderai aussi d'ajouter / entre parenthèses après la citation que je / fais de Breton… « L'acte surréaliste est de descendre / dans la rue… etc… » ces mots : (je cite de mémoire). / J'ai été heureux de vous serrer la main / hier soir. Pensées bien amicales / René Char".

Document autographe joint : "... qui vise à nous étouffer purement et / simplement. Mais ce n'est pas en faisant / profession d'anti-quelque chose que nous / viendrions à bout de ce quelque chose, faux / et meurtrier à son sommet mais resté / valable et juste à sa racine (le commu- / nisme par exemple.) L'Histoire n'a / pas une santé de crin et ses entichés / se comportent vis-à-vis d'elle comme / des libertins en proie à des perversités / d'un nouveau genre. "attention, tu te / corromps !" Hélas, les tyrans et les / utopistes, leurs adversaires, Me paraissent, / à quelque exception près, détenir même / tempérament, même absolutisme, même / vision erronée des lendemains de l'homme. / Nous voilà loin de Mr Mourre, qu'il / faudra, celui-là, arracher des mains / des docteurs aliénistes. / ils sont plus qu'un petit nombre / ceux qui se sentent pareillement à l'étroit / dans l'optimisme étourdi des poétiques / et dans les arpents du désespoir quotidien. / il ne s'agit pas "d'avoir raison sur nature / et d'avoir tort, en théorie" mais / avec toute la témérité et la crainte / de nous tromper donc nous sommes / capables, de maintenir la liberté / familière de la vérité. / veuillez agréer, Monsieur etc... / René Char".

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